Alors que la montée des températures a favorisé un débourrement précoce et homogène de la vigne, la nature a finalement cédé au caprice tant redouté des gelées tardives dans la région. Une fois de plus, l’estuaire tout proche a été notre meilleur rempart contre la récurrence des épisodes de gel. Le ton était donné pour nos équipes, qui allaient devoir composer avec “un millésime sportif, sous tension permanente”, selon la formule de Bruno Clenet, le chef de culture.
Haut les cœurs ! Après avoir retenu leur souffle face au risque du gel, nos équipes ont su protéger la vigne d’une pluviométrie constante. Le couvert végétal, réalisé à l’automne dernier entre les rangs, a joué un rôle de tampon à la perfection, garantissant au sol une stabilité nécessaire pour entrer dans la vigne.
Dans ce contexte de millésime humide, la précocité des échardages et des effeuillages, réalisés dès la mi-juin, a été décisive. Nous avons adapté le geste à chaque cépage, pour optimiser l’aération des grappes.
La tension est montée d’un cran à l’approche des vendanges. À quel saint se vouer face à des conditions météorologiques aléatoires, alors que trop peu d’avions sillonnaient le ciel ? Tandis que l’écart de maturité se creusait entre les merlots et les cabernets sauvignons, nous décidons de ne pas céder à la panique, mais plutôt à notre intuition. Une réflexion collégiale nous conduit à prendre la décision très risquée d’attendre pour vendanger. Ce sont les toutes dernières dégustations des baies qui confirment leur belle maturité et déclenchent la vendange à partir du 28 septembre, alors qu’un soleil radieux fait son apparition au-dessus de Saint-Julien.
Cette année a été l’occasion d’aller plus loin dans la recherche de qualité dès la réception de la vendange, en démarrant la bioprotection plus tôt par pulvérisation des cagettes pleines à la vigne, et en utilisant des chambres froides pour y déposer les grappes entières et ainsi optimiser le tri qui s’en suivra. C’est un millésime tout en paradoxe qui fait son entrée au cuvier : de petits volumes, mais de gros raisins sur nos parcelles de merlot. “Malgré ces faibles rendements, nous avons sacrifié du jus au service de la qualité”, se remémore Isabelle Davin.
Pour notre œnologue, comme pour Didier Thomann, maître de chai, chaque millésime est une quête d’excellence, d’autant plus quand il invite les équipes à transcender leur savoir-faire.
Du fait des petites quantités, nous avons fait le choix d’aller encore plus loin dans les vinifications intra parcellaires. Les arômes prometteurs des moûts ont donné raison à notre optimisme. Ils présentaient une remarquable fraîcheur de fruit que nous avons su préserver grâce à des extractions très douces.
Les équipes du Château savourent leur récompense avec fierté en accueillant ce millésime victorieux. Moins exubérant et avec une plus grande tension en bouche que la trilogie 2018-2019-2020, il fait écho au millésime 2012, par son style classique et son approche particulièrement digeste. Quelle éclatante fraîcheur aromatique et gustative qui renoue avec la fraîcheur et le style des millésimes classiques de Bordeaux !